Parole d'expert


« Il faut ancrer la question du logement dans l’espace ».
L’analyse de Jean-Claude Driant, géographe et professeur à l’Institut d’urbanisme de Paris (Université Paris-Est Créteil) et auteur des « Politiques du logement en France » (La Documentation française, 2009).


Ces chiffres vous ont-il surpris ?
Pas du tout, ils sont conformes à ce qu’on peut voir dans d’autres études plus généralistes. Ce qui manque peut-être ici, c’est une vision territorialisée des situations, car si le bilan est effrayant en l’état, il ne peut que s’aggraver si l’on zoome sur la région parisienne et les grandes villes. Dans l’enquête OVE de 2013, on constatait en effet que les clivages sociaux étaient presque effacés dans les petites villes, et très visibles/lisibles dans les grandes villes. Or l’enquête OVE, par définition, ne s’intéresse qu’au cas des étudiants, globalement plus favorisés que l’ensemble de la jeunesse : d’où une accentuation des tensions dans votre enquête.

La difficulté d’accès au logement est-elle universelle pour les jeunes ?
Pas tant que cela. Il existe des différenciations fortes entre jeunes, et les plus jeunes sont fatalement plus soumis aux clivages sociaux du fait de conditions sévères pour entrer dans le logement (garanties, etc.) A propos des étudiants, deux tiers d’entre eux affirment n’avoir pas rencontré trop de difficultés... mais le dernier tiers en a vraiment « bavé ».

Les jeunes sont-ils soumis à la double peine ?
A la triple peine presque. Statistiquement, les jeunes paient les loyers les plus chers, du fait d’un prix au mètre carré supérieur (petits logements) et d’une très forte mobilité de leur part.

Considérez-vous que les jeunes vivant encore chez leurs parents vivent une dépendance essentiellement subie ?
Sur ce point, la nuance est nécessaire, car de grandes différences existent selon les

classes sociales considérées. Sur ce point, la taille et la localisation du logement créent des inégalités massives : la dépendance sera plus subie dans un logement exigu et excentré, périurbain, plutôt que dans un grand logement en centre-ville !

Cette jeunesse vous apparaît-elle résignée ?
Oui, et c’est une impression générale, similaire à celle concernant son rapport à l’emploi. « Bah oui, c’est dur », semblent-ils se dire, sans que ce constat ne provoque de comportement de révolte. Cette résignation est inquiétante, au regard des jeunesses du passé, qui savaient se révolter.

Quels aspects mériteraient selon vous d’être creusés ?
La dimension territoriale, comme je vous le disais, que l’enquête en l’état ne permet pas d’appréhender. Il faut ancrer la question du logement dans l’espace. Sur les étudiants, avec un échantillon plus important, nous avions constaté qu’il existait de grandes différences entre grandes villes, villages, villes moyennes... Il paraît par exemple logique d’accéder plus facilement à un logement dans une région sinistrée économiquement, proposant peu de travail, mais cela est-il une bonne chose au bout du compte ? Certainement pas.

En quoi la situation a-t-elle changé, pour les jeunes, depuis quelques décennies ?
D’enquête en enquête, on constate un point paradoxal : la part des étudiants disposant

d’un logement autonome ne cesse de croître, alors même que les conditions d’accès au logement se sont énormément tendues. Les jeunes seraient à la fois de plus en plus autonomes et de plus en plus disposés à surmonter des difficultés grandissantes pour le devenir. Leur effort financier requis, également, a très probablement bondi. Cette situation, du coup, génère des privations sur d’autres dépenses, y compris sur celle de première nécessité...

Comment, selon vous, oeuvrer dans le sens d’une amélioration de la situation ?
Certainement pas en développant des formules de logement spécifiques, spécialisées, car ces types de produits immobiliers ont par définition une durée de vie limitée – les jeunes souhaitant rapidement, en général, acquérir un « vrai » logement, s’installer en couple, etc. En revanche, et cela vaut aussi pour l’ensemble de la population : une meilleure régularisation des loyers, et la facilitation de l’accès au logement social des plus jeunes actifs devraient permettre d’arranger la situation. On voit d’ailleurs que chez les plus vieux de votre échantillon, le taux de présence dans le logement social est égal à celui de l’ensemble de la population – les travailleurs les plus jeunes en sont en revanche plutôt exclus...

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Observatoire de la jeunesse solidaire